Après une année 2019 marquée par les manifestations de « Gilets Jaunes » et la recherche de solutions à travers un Grand Débat, 2020 s’ouvre sur une paralysie des transports et une perspective insurrectionnelle générée d’un côté par des attitudes autoritaires et rigides et de l’autre par une radicalisation des positions. Globalement l’incompétence à négocier gêne significativement la vie de millions de personnes. Avec cette position paradoxale de se sentir « pris en otage » et en même temps de ne pas désapprouver les mouvements de blocages. Ma réponse est OUI. La réforme est importante et concerne l’inégalité des revenus et le sentiment d’injustice sociale. Faut-il pour autant en passer par des insurrections et une révolution ? Je ne le crois pas. 1.L’inégalité des revenus et le sentiment d’injustice sociale. Voilà les deux éléments qui servent de terreau à une colère latente, une sorte d’insatisfaction qui touche tous les milieux, toutes les professions, tous les secteurs d’activité ; qui aujourd’hui revendique que ça va bien ? A.Les revenus Il existe de nombreuses manières de calculer les revenus, les patrimoines ; les « influenceurs » politiques s’appuient sur des études expertes parfois discutables. Cependant, un fait est à peu près certain : la révolution industrielle a fait exploser les inégalités entre les nations[1] depuis les années 1830. A titre d’exemple,
En moyenne, les Français les 10 % les plus aisés touchent 6,7 fois plus que les 10 % les plus pauvres (Insee, 2016) après impôts et prestations sociales. La France est, après la Suisse, le pays d’Europe où les riches sont les plus riches : le 1 % des plus aisés touchent au moins 7 000 euros contre 5 800 euros au Royaume-Uni par exemple[3]. En bas de l’échelle, cinq millions de personnes pauvres vivent avec moins de 855 euros pour une personne seule (Insee, 2016) B.La difficulté à vivre dans une société de consommation Au-delà du revenu, c’est le sentiment de ne pas pouvoir vivre décemment (c’est-à-dire à la fois objectivement et sous le regard des autres) dans un contexte où le modèle est la consommation, l’avoir. Ce n’est pas pour rien qu’apparaissent des mouvements de décroissance, de sobriété (si possible heureuse), d’écologie de l’agriculture…etc. Ces mouvements sont parfois perçus comme dogmatiques surtout pour ceux qui profitent de la situation mais aussi aux yeux de ceux qui voudraient bien faire l’expérience de la consommation. C’est encore un paradoxe dans lequel nous sommes pris : à la fois consommer moins (ou mieux) et quand même profiter de la vie en consommant comme les autres. 2.La redistribution La France reste cependant l'un des pays d'Europe où l'argent est le plus généreusement redistribué des riches vers les pauvres. C'est la vertu de notre « État-providence » crée après la Seconde Guerre mondiale avec la mise en place de la sécurité sociale. Selon les chiffres de l'OCDE (l'organisation de coopération et de développement économique regroupe les 36 pays les plus développés du monde), le niveau d'inégalité de revenus parmi la population en âge de travailler est réduit d'un tiers grâce au cumul des impôts et des prestations sociales (les allocations-chômage et logement, par exemple). Là où, dans les autres pays de l'OCDE, cette réduction n'est que… d'un quart ! 3.Un nouvel état de conscience collective et une régression sur des positions archaïques La révolution numérique et l’élévation générale du niveau d’éducation nous permet de prendre conscience de la situation de façon comparative grâce à l’accès en temps réel à des informations diverses. Les colères sociales sont présentes dans le monde entier en ce début 2020 (Chili, Irak, Algérie, Égypte, Haïti, Hong Kong, Espagne (Barcelone), France, Soudan, Liban…) ; le recours à des régimes autoritaires peut être observé dans le même temps : Chine, Russie, États-Unis, Turquie, Hongrie, …etc. L’information, la conscience et l’interprétation de tout cela à travers nos systèmes culturels familiaux et sociaux produisent ensemble une sorte de flou auquel il est difficile de donner une intention ou une direction. Chacun revient à ses croyances de base pour marteler des vérités qui n’ont rien d’évidents. 4.Quelques faits. On connaît assez bien
On oublie souvent que le travail est sans doute le plus puissant levier de la réduction des inégalités. Non « le travail n’est pas une marchandise » comme l’enseigne Alain Supiot[4] mais bien plutôt un support de dignité que chacun, à sa place et avec ses talents peut investir comme l’accomplissement d’une œuvre, de l’œuvre de sa vie. Parfois celle-ci est en vue avec des conséquences mondiales (Mandela a permis à son pays de ne pas sombrer dans la violence) et parfois elle est insignifiante mais tellement importante là où elle s’accomplit (être le pilier d’une famille ou d’une communauté, être là quand i l faut, soulager la souffrance…) 5.L’Apocalypse Dans ce climat apocalyptique, remontent des vieilles colères des peuples, comme si elles avaient été stockées[5] dans une banque collective[6], prêtes à rejaillir dans la violence puisque hors de contrôle de toute sagesse et sous-tendue par des types de rationalité destructives. Est-ce véritablement impossible de transformer une société avec mesure et sans violence ? L’Histoire est malheureusement pleine d’exemples qui illustre les transformations dans la douleur et la violence. Le monde n’est pas un « paradis », c’est un lieu d’affrontement au nom des intérêts personnels, des valeurs érigées en dogme, des égos en lutte…. Mais le monde est aussi un ensemble d’îlots de bonheur[7] maintenus à flots par des personnes bienveillantes et sages qui facilitent « le vivre ensemble quand on est différents ». Ma conviction profonde est que l’Apocalypse est une image symbolique de ce qui devrait arriver si on ne se transforme pas véritablement pour créer un nouvel ordre social[8] adapté à un contexte nouveau. 6.De nouvelles manières d’accompagner le mouvement de transformation Il n’est pas possible de bloquer l’évolution et les transformations sociales. Mais il est possible, à mon avis, de le faire avec un peu plus de pertinence. Je voudrai d’abord adresser un « carton rouge » bienveillant, respectueux et ferme à : Monsieur le Président de la République Monsieur le Premier Ministre et Mesdames et Messieurs les Ministres en poste Mesdames et Messieurs les responsables syndicaux salariés et patronaux Mesdames et Messieurs les responsables de partis politiques ou d’associations d’influence Mesdames et Messieurs les élus de la République… Ce carton rouge concerne votre grande difficulté à adopter une réelle position de négociation, basée sur la parité humaine et hors de toute posture qui cherche à imposer aux autres ou à manipuler pour arriver à ses fins….si, si, ça existe ! Je souhaite que soit imposé dans notre Constitution le fait que tout Responsable qui brigue un mandat public devra avoir suivi un parcours impliquant de formation personnelle qui insiste sur l’article 4 de la déclaration universelle des droits de l'homme qui spécifie que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Une autre manière est d’appliquer la règle d’or qui est une éthique de réciprocité dont le principe fondamental est énoncé dans presque toutes les grandes religions et cultures : « Traite les autres comme tu voudrais être traité » ou « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse ».
Peter Sloterdijk suggère de réaliser des trialogues (dialogue à 3) ; L’État est supposé tenir le rôle tiers. Hélas, il n’est pas accepté par les autres parties en présence et surtout il a des enjeux politiques et économiques qui renforcent l’impossibilité de négocier dans notre pays. Au vu de la complexité des enjeux sociaux et économiques, il est nécessaire et urgent de faire appel à des tiers professionnels et non impliqués pour faciliter les négociations entre responsables conscients des enjeux et respectueux de la vie de leurs concitoyens. Plus généralement, il convient de donner les mandats politiques et sociaux à des Hommes et des Femmes qui peuvent les assumer avec éthique, non dogmatisme et bienveillance. Et de stimuler les autres à progresser, à se former. L’autorité ne doit pas être arrogante ou hautaine. Elle est, pour celui ou celle qui brigue un mandat, un impératif absolu de conscience et d’engagement de transformation de soi, aux antipodes des effets de langage, des modèles théoriques, des références traditionnelles non intégrées et autres fantaisies contorsionnistes. Le résultat devrait être à court terme une amélioration significative du niveau de vie des plus défavorisés, une incitation à l’engagement et à la responsabilité de tous dans la vie collective et des voies dégagées pour celles et ceux qui ont le talent d’inventer, de créer, d’entreprendre. L’apaisement des colères qui viennent de la nuit des temps pourra faciliter l’émergence de solutions créatives pour résoudre les questions qui se posent aux Hommes de notre temps. AuteurJacques Moreau – Analyste – Enseignant et Superviseur - 2020 Références
[1] Daniel Cohen, Richesse du monde, Pauvretés des Nations, Flammarion, Paris 1997, collect Champs [2] Human Development Report 2006 [archive] du PNUD p. 269. [3] Observatoire des inégalités (rapport 2019) [4] professeur émérite au Collège de France ( Leçon de clôture prononcée le 22 mai 2019) [5] Comme des timbres ristourne ( Éric Berne) [6] Peter Sloterdijk - Colère et Temps. Essai politico-psychologique, éditions Maren Sell, 2007 ; traduit par Olivier Mannoni Prix européen de l'essai Charles Veillon en 2008. [7] De bulles de OKness (Moreau – 2018) [8] La Jérusalem Céleste
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AuthorMoreau Jacques Archives
August 2020
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